15 septembre 2006

Savourer l'ombre et le thé à la menthe/2

Quand les ocres se fondent dans le plomb, les nuages fleurissent dans les flaques. C’est une vérité vraie aussi vraie que l’orage nous a fait économiser quelques degrés alors la vie peut repartir, les chats s’arrêtent à toutes les portes ouvertes, passent une moustache en mendiant piteusement et lentement les vautours reprennent leurs rondes.

Un peu de pluie tiède et tout s’ébranle sous nos godasses, les pierres d’oxyde de fer et de cuivre roulent avec leurs pigments, c’est Hassan l’artiste du désert qui les colle sur sa toile. Il peint des ancêtres dévoués au Ouali et à 300 ans d’autarcie que l’on dérange en deux jours. Même les nomades contournent leur minuscule oasis.
Le calme et les gamins des rues roses ont enveloppé leur pain de vache qui rit. Je ne m’étonne pas. C’est l’heure du goûter et nous goûtons aussi, de l’huile et de la confiture de figue, on mange en silence et en sourires. Nous ne disons plus rien, je déguste ce plaisir de toucher du doigt et des yeux d’exotiques clichés. Comme dans un roman ou sur un écran, chacun prend la pose et suit les maigres lignes de ce scénario que je fixe dans mon crâne. Les murs de terre s’élargissent au fil des naissances, des pièces poussent du sol lui-même, on trace un carré de jardin où s’élèveront quelques palmiers.


Les nomades contournent l’oasis mais pas Internet, mon cliché s’en prend plein la gueule, et avec de la vache qui rit sur les doigts, je sors enfin de ma torpeur lyrique, H. me donne sa carte et son e-mail et je lui promets d’envoyer les photos.

11 septembre 2006

Deux journées ont suivi. Nous nous sommes confrontés à l'administration locale. Assez marrant, le responsable du centre régional d'investissement le dit lui-même : ils vivent à l'heure d'été...
Pas de photos faites, pourtant de belles installations ultra modernes et zen, cadres aux murs, couloirs aéré, patios, des machines à café, des salles d'attente vides et des bureaux déserts. Nos projets dans les poches cherchent Monsieur A.
Changement de décors.

Là, nous sommes certain que nos vies s'affolent, nous devons visiter LE village, rencontrer H. Ici pas de visites touristiques prévues, nous prenons les taxis de Ouarzazate à la gare routière. Les "grands" taxis Mercedes, d'un âge respectable rafistolés avec de la pauvre ficelle. Ils ne partent que lorsqu'ils sont bourrés. Deux sur le siège passager, quatre à l'arrière, nous attendons la mama avec son panier remplis de sacs plastiques bleus, du poulet au fond, je pense. Chéri est coincé à l'avant contre la portière qui ne ferme pas vraiment. J'ai évidemment le droit au même confort à l'arrière. Je m'accroche à la poignée pour ne pas écraser la vieille dame, même si elle de son côté m'écrase sans vergogne, de toute façon au bout de trente minutes de trajet, la sueur des uns humidifie les vêtements des autres et le contact des cuisses inconnues deviennent sans importance tant on se concentre sur les virages et les portières branlantes.
Arrivés dans un chaos de poussière, au bord d'une route bordée de cafés déglingués et de bouteilles de flotte vides, nous attendons H. Nous transferrons nos sacs dans une 4 L blanche et empruntons la piste. H. est très beau, la peau presque noire, très mince comme tous les berbères que nous avons cotoyés jusqu'à maintenant. Je crois qu'il sait qu'il est beau. Il n'ose pas encore me regarder mais il me draguera avec beaucoup de délicatesse quelques heures plus tard !
Au milieu de nulle part, le village surgit au bout de la piste. Le désert sous un ciel d'orage et quelques palmiers se découpent dans le plomb et l'ocre rouge. Huit famille vivent là, dont celle d'H.
E. met sur pied avec l'aide de H. un programme de restauration du village et de developpement de l'artisanat local. Une ferme devrait voir le jour, des ateliers de fers forgés fonctionnent déjà bien, d'autres sont en préparation... et mon coeur palpite. Pierres après pierres, maisons après maisons, Nous sentons que tout colle. Tout m'imprègne, il y a quelque chose à faire, il y a de l'avenir à construire en pisé en roseau en tuya. Nous ne savons pas comment exactement, ce n'est pas le moment de réfléchir pour de vrai, mais les sourires que nous échangeons en silence confirment que nous sommes d'accord.
Nous avons été reçus chez tous ses cousins et amis, nous avons partagé le thé trois fois et j'ai fait la bise à son neveu. H. était déçu que nous ne puissions pas rester dormir chez lui, il nous a semblé presqu' indécent de dire que nous étions pressés. Mais avec E., H. me confie en fait, qu'ils sont habitués, les français sont toujours pressés. Je repars avec du khôl neuf qu'il a marchandé à sa soeur, il m'a montré comme l'appliquer, nous lui avons laissé l'un de nos jeux.
De retour à l'hotel nous savons déjà que nous reviendrons, au moins pour rencontrer E. qui était malheureusement coincé à Essaouira pendant tout notre séjour. Nous confions à H. le soin d'être notre ambassadeur. Entremetteur et nouvel ami, nous nous sommes embrassés et serrés les mains. Le courant est passé, nous nous sommes compris.

Savourer l'ombre et le thé à la menthe






Une journée marathon avec nos amis et leurs enfants. Au programme : la route des 1000 Casbah, la vallée des roses et les gorges du Dadès. Du désert, des lauriers roses, des ballades à pieds pour les grands, en mule pour les petits, des tagines, des figues et le luxe de faire semblant de croire que nous sommes les six premiers touristes dans ce village où le linge sèche sur les pêchers sauvages. Notre guide est adorable, il explique à la petite Andréa que "non la mule n'est pas fatiguée, elle était en vacances depuis une semaine, elle est contente de reprendre son travail de mule". Plein les sens, plein les pupilles, tant que j'en ai même souvent oublié de photographier et puis d'autres fois je me sentais comme un rapace, toute à la fois fautive voyeuse et victime de cette beauté que j'avais du mal à saisir. Maladroite. Mais heureuse.

Le retour s'est fait dans une fatigue sereine, le 4X4 climatisé nous renvoyait dans notre bel hôtel feutré entouré de datiers, ficus et fontaines. La mule devait dormir maintenant et Andréa sombrait dans les bras de son père.

Le lendemain notre travail allait également être à l'ordre du jour.