24 mai 2006

Transit

Je reviens d’un jeûne et je demande à voir. A voir tavernier ! Du coup je lis je lis je lis le Web, depuis 3 heures, 3 jours, 3 nuits enfin presque je ne suis pas à une ou deux exagérations près ; je regarde je regarde je regarde. Les gens sont quand même beaux, non ?
C’est quand même vachement facile de ne lire que ce qui nous plait, de ne voir que ce qu’on aime. Est-ce que c’est parce que c’est « gratuit » qu’on zappe d’une adresse à l’autre, qu’on suit une diagonale et qu’au bout de la ligne on passe à un autre site en bookemarquant la pépite, pensant qu’on y reviendra ? Et la liste s’allonge. Est-ce que c’est parce que c’est free, qu’on en veut plus, toujours plus, en regardant plus vite que ses pixels. Est-ce que c’est parce qu’on se sent libre qu’on devient frénétique avec l’impression qu’on n’en fera jamais le tour. Alors j’avale. Et puis je me sens épuisée et vaine alors que je devrais me réjouir de toutes ces belles idées, je suis assommée et noyée, un asticot qui asticote sa pomme, sa citrouille, mon ciboulot plein d'air. Et moi moi moi ? A quoi bon en rajouter, que peut on recycler puisqu’on n'invente rien. J’arrive au bout du recyclage, fin de la machine, le tambour est plein je vais le vider.

Peut-être suis-je devenue anorexique, j’en arrive à compter le nombre de kilo que pèsent mes mots.
Difficile de vouloir participer au remplissage quand on a tant à lire.
Sale temps pour sortir.

09 mai 2006

Carnaac


J’ai une théorie sur les alignements mégalithiques.

Il y a 6000 ans en plein néolithique, un mec s’ennuyait ferme. Internet n’était pas très opérationnel encore, les tuyaux en écorces d’arbre ne laissaient passer que les plus grosses informations de type il va pleuvoir à la prochaine lune parce que la mousse pousse plus verte sur la partie nord du tronc. Et pas grand-chose d’autres à part une base de données assez minable sur la culture des termites et des fourmis femelles noires.

De plus, tous ses potes étaient en pleine expérimentation d’agriculture bio. Les subventions leur permettaient de s’installer en dur dans la région et les veillées au coin du feu ne parlaient que de famille à fonder et de mioches à élever. Bref, ennui mortel à l’horizon pour ce célibataire un peu paumé qui aimait s’empiffrer de girolles de toutes les couleurs, les meilleurs étant les grises avec un petit téton sur le chapeau, parfaites pour les soirées Sade Botam Sucra Peth (Sang de Boeuf Tambours sur Crânes et Percussions Thoraciques). Seulement, malheureusement, ces soirées branchées qui effrayaient un peu les vieux du campement se faisaient de plus en plus rares, les tambours étaient délaissés, les percussionnistes préféraient copuler avec le reste de la jeunesse active.

Il ne restait de ces festivités que les ronds de pierres autour des pistes de danse. Il n’avait jamais vraiment fait banquette, la caillasse n’ayant jamais été très confortable, malgré les dires des anciens, il préférait mêler son corps à la sueur acide des autres danseurs agités par les rythmes hypnotiques. Âcreté, poussières et fumées. Tristement assis désormais, la mine aussi grise que le roc, aussi désoeuvré qu’une mouette mazoutée, comme tout cela paraissait lointain, et les jolies admiratrices des Sucra Peth, encore plus loin.

C’était dommage de laisser cet endroit à l’abandon, un coin bien pénard à l’écart des fermes qui se construisaient, un terrain vague avec des peaux miteuses abandonnées et des pilons polis jusqu’à l’os, des machoires d'ours qui renvoyaient la lueur des étoiles. Il commença à balayer les lieux, jetait des breloques de quartz cassées et très tape-à-l'oeil, il nettoyait les blocs, les débarrassant de leur vieux sang, il revenait chaque soir pour peaufiner son travail. Quand il eut tout décrassé, il décida de ranger les pierres, les petites rondes d’un côté, les grosses allongées de l’autre, d’autre soir il les mélangeait soudainement, puis les reclassait.

Les voisins finirent par venir le voir, inquiets pour lui et son isolement de plus en plus prolongé. Un soir il reçut un flash sidéral venu de plus à l’ouest : il les aligna, petit cailloux devant, au milieu les moyens, au fond les grands. Les gens qui passaient criaient « O Tiist qu’est-ce que tu fous ? », ce à quoi il répondait « je groumpf pas fini, non groumpf pas fini ». Effectivement il n’en finissait pas d’aligner, de mesurer les sommets, de réajuster pour trouver la courbe ascendante parfaite.

Il mourut d’épuisement, mais pour lui rendre hommage, beaucoup de ses anciens copains prénommèrent l’aîné de leurs rejetons Tiist. A ceux-là le premier métier du monde à haut risque et sans chômage leur fut dévolu. Sur le modèle initié par Tiist, il y avait des règles très strictes à observer comme la solitude et l’incompréhension des autres : ils furent les premiers aligneurs de pierres ou plus communément appelés en néolithique récent « Aar-tiist ». Peu de temps après un deuxième métier à haut risque s’est rapidement mis en place : psychologue.

06 mai 2006