Cogito ergo de seigle
C’était donc avant-hier et tout était normal, c’est-à-dire un quotidien juste stressant avec des envies légèrement contrariées et pas mal de lessives en retard. Mais quand même, j’avalais cette pilule et je n’avais plus besoin de pleurer. Lorsqu’on ne pleure plus, on ne se mouche plus, la température baisse, le front se dégage et la nuit est moins lourde, le corps tout entier s’allège. Plus reposée que la veille, j’arrive cette fois à hier et je retrouve mon cahier sous une épaisse couche de poussière.Cette histoire de distance entre les neurones est un bon prétexte pour sortir ma loupe et m’ouvrir le crâne.Je réfléchis bancal, ça glisse sur le côté et ça finit par tomber.A chaque fois que quelque chose a foiré dans ma vie, c’est parce que je prenais trop de temps sur ce fil tendu entre mes deux neurones. Pas tout à fait engourdie dans ce hamac, jamais vraiment détendue, toujours prête à tomber, toujours en équilibre entre ce qu’il faut faire ou pas, entre ce que mon instinct me dicte ou bien ma raison. Jamais sûre de moi, pardon d’exister. Ma pauvre fille tu vas arrêter de brasser l’air de ton fromage blanc !
A force je suis restée emmêlée dans les fils, ballottée, le doigt en l’air, les deux autres sur l’anse de la tasse à café, regardant passer mes erreurs, puis ma déprime, puis mes erreurs, puis d’autres envies. Ouf !
Enfin la petite pilule glisse dans l’estomac, je me glisse hors du filet. Comme dirait ma mère les gens qui réussissent dans la vie n’ont pas le temps de s’apitoyer sur leur sort. Bref ils n’ont pas le temps de se vautrer dans le hamac tendu entre leurs deux neurones. Eux. Ma mère a une idée assez précise des gens qui réussissent.
Finalement la pensée correcte est celle que j’assumerai, peu importe la bonne réponse, il suffit qu’à un moment donné je crois détenir la vérité, aussi fugitive soit-elle, celle qui mobilise toute mon énergie, pour que je dure comme le lapin de la pub, plus longtemps, la tasse de café avalée, le filet de bave séché, la mouche recrachée. L’essentiel c’est de ne pas s’ennuyer dirait mon père. Je ne m’ennuie pas papa.
J’ai simplement envie que la chantilly de mon cerveau ne pénalise pas la business woman que je dois être aussi. Parce que je ne vous ai pas dit, j’ai la mallette de cuir comme une cartouchière, j’ai mes problèmes et mes soucis financiers au fond du cœur, je flingue l’oreille attentive à coup de CA et de complaintes économiques, nos petits collègues partent fabriquer en Chine, oui ma bonne dame nous résistons parce que nous sommes un peu naïfs moins jeunes un chouïa utopistes, un peu cons sans doute, allez reviens j’aurais voulu être une artiste, je suis en solde tous les fins de mois, alors n’aies pas peur mon bon de commande est sélectif.
Petite pilule amère ou euphorisante, je fais un nœud là, vous voyez ? Le doigt dans la chantilly. Je fais une boule de tout ça et au panier mémère !