23 novembre 2005

Dans la famille Plouf, je demande la fille


Sur le bord du spleen les yeux collés au screen, tant que je ne sombre, les pensées volent au-dessus des ombres… hum, n’empêche que j’en voyais gamine, des ombres, dans la pièce à musique ; elles ne me faisaient pas peur et je me croyais extralucide.
Je n’avais peur de rien, trois fois rien, quelques piqûres d’infirmière et autres araignées cachées dans des pulls oranges, par contre une peur panique d’être grande et de ressembler à une autre avec des mômes qui me pousseraient dans le bain des adultes, je pensais pouvoir toujours reculer, choisir de descendre du plongeoir ou courir plus vite, sauter par-dessus la faute, oublier ou retenir chaque mot, fixer chaque note à une bonne conduite et mes trouvailles à des lignes de vie. En fait on oublie les choses qu’on voulait garder et on garde celles qu’on voudrait jeter et puis on n’a qu’une ligne, enfin d’habitude.
Je ne sais pas si ça compte, mais j’ai trois fourches dans la paume gauche, comme si moi chanceuse que je suis, je pouvais suivre d’autres parcours à partir des trois carrefours étalés dans le temps, gravés dans ma peau. Je me demande quand même s’il me faudra faire demi-tour au bout des chemins.

Je descendais pianoter chaque fois que mes parents semblaient être sûrs de savoir quoi faire pour moi. Je m’en voulais de ne pas les vénérer, je m’en voulais de ne pas vouloir ressembler à ma mère, et de ne pas vouloir me marier avec mon père. J’aurais bien aimé les avoir comme idoles, même un peu ternes, même minuscules et me fier à eux d’une manière totale. Ils n’auraient eu qu’une auréole pour deux j’aurais emballé et pesé le tout avec enthousiasme, mais j’étais une gamine sans héros et très tôt j’ai préféré me ranger du côté du concret quand il s’agissait de mes vieux.

Il m’aurait fallu des maîtres plus vigilants, qui déjouent mes faux airs tranquilles. On aurait dû m’inculquer de force la reconnaissance envers mes aïeux, me l’enfoncer à coup de privations, de sévices ou de menaces… un peu comme le dieu que j’incarne pour mon chat lorsqu’il pleut ou lorsque la nourriture apparaît dans le frigo.
Je m’en serais remise à leurs choix, sans calcul. Ils seraient tombés de leur trône quand j’aurais eu 10 ans, ils m’auraient déçue à l’adolescence mortellement, je les aurais détestés grave.
Par contre j’ai su être respectueuse, cela trompait tout le monde et souvent même cela satisfait le monde, je bluffais vachement bien.

Depuis, je porte une sorte de culpabilité sur mes épaules vieillies, mais je me suis arrangée un planning à bons points, être un peu raisonnable en leur présence, un peu gentille, un peu aimante, un peu à l’écoute, un peu disponible, je coche des croix. Comme un devoir filial mêlé d’estime, et œuvrer pour le futur, lui donner un peu d’étoffe, redorer les souvenirs… ouais, faut pas déconner je les aime quand même.

La pièce à musique et ses fantômes sombres est devenue plus grise, elle colle un air poussiéreux aux moulures du plafond, et je regarde souvent dans la bonbonnière sur le piano combien d’années sont passées depuis mon enfance : trois réglisses et deux tagada.
Il y a quelques endroits où l’on peut prendre du temps, où l’on arrête quelques pensées, on les assouplit pour qu'elles arrivent jusqu'à d’autres sans trop de plis, assez brillantes pour faire luire nos yeux, en douceur avec un poil de spleen. Je connais des pièces, des fenêtres ouvertes où l’on compte jusqu'à 10 ans et demi, dans la cour des grands, avec les baisers de nos 15 ans, inspirés, puissants et éternels. Les galoches de l’enfer !

Mes parents sont toujours mes parents et moi je ne suis toujours qu’une espèce d’enfant attardée avec une CB qui marque des croix, qui fait ses devoirs à la dernière minute pour pouvoir dormir meilleur, parler mieux, respirer bien. On ne change pas, je crois qu’on possède un potentiel de défauts ou de qualités qu’on exploite ou qu’on gâche, on ne s’invente pas. Aujourd’hui je pense ça très fort mais j’ai 17 ans, je suis ingrate, capricieuse jamais satisfaite. Papa, maman arrêtez de m’aider, je ne pourrais jamais vous le rendre, bordel de merde !!!

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